1491 OU LA NOSTALGIE DE L’AMÉRIQUE PRÉCOLOMBIENNE
Un passé idéalisé
Le 25 mars 2020, la télévision allemande ZDF info avait retransmis le film documentaire « 1491 ou l’histoire non dite des Amériques avant Colomb ». Il s’agit d’une production canadienne tournée en 2017 par Barbara Hager et Lisa Jackson à la base du livre de Charles C. Mann « 1491. New Revelations of the Americans Before Columbus » (Nouvelles Révélations sur les Amériques avant Christophe Colomb) paru encore en 2005 dans la Maison d’édition Knopf de New York. En huit épisodes ce film illustrait la thèse de Mann que les populations indigènes américaines avaient su développer des civilisations comparables aux celles de l’Antiquité européenne et, dans certains aspects, même les devancer.
Film documentaire «1491 ou l’histoire non dite
des Amériques avant Colomb»
De quoi à fasciner les amateurs des Western curieux d’apprendre davantage sur les origines des populations précolombiennes du continent américain. Dans ce sens, le documentaire « 1491… » satisfait grandement ce sentiment. D’un côté, il leur présente l’étendue de la richesse culturelle de l’Amérique ancienne à la base des découvertes archéologiques récentes et, d’autre part, il confronte les spectateurs avec le drame des populations autochtones ayant dû faire face à une civilisation expansionniste et technologiquement supérieure.
Or, si cette tragédie aux dimensions d’un holocauste raciste ayant duré pendant des siècles ne domine pas le récit, elle l’imprègne d’autant plus fort. Le fait que non seulement les producteurs, mais aussi la majorité des experts consultés étaient d’origine autochtone laissait l’impression qu’une approche nouvelle dans l’interprétation du passé de leurs peuples allait être faite. En effet, leur présentation aurait pu contribuer à une compréhension meilleure de la complexité d’une époque révolue. Ceci d’autant plus qu’elle était raconté par les descendants des victimes d’un « clash » civilisationnel aux dimensions d’un véritable cataclysme humain. Or, il n’en fût rien. Leur récit était dominé par une simplification subjectiviste. Les spectateurs étaient ainsi privés d’une analyse approfondie qui leur aurait permis de se faire une idée plus objective d’une période historique particulièrement dramatique.
Culpabisations et victimisations
Où peut-on aboutir à la base d’une narration noire-blanche moralisante sinon à la culpabilisation et la victimisation en vrac de toutes les générations des collectivités humaines, ou bien une nouvelle mystification du passé et, par ce biais, aussi du présent ? Cette présentation simplifiée dresse, en effet, le tableau des bonnes populations indigènes écologistes et bien-pensantes face aux méchants intrus blancs détruisant tout sur leur passage. Or, en agissant ainsi on prévoit, peut-être exprès, que l’unique conséquence de l’interprétation de l’histoire comme lutte entre le bien et le mal n’est que la consécration de la pensée unique. De là, à la mise au pas intellectuelle il n’y a – qu’un pas. Il s’agit, hélas, pas d’un pas en avant en faveur de l’émancipation de l’esprit ouvert à la valorisation des arguments controversés, mais d’un pas en arrière vers le dogmatisme totalitaire. On y avance sans s’y rendre compte les yeux souvent fixés sur un passé idéalisé et l’esprit épris par le rêve de la résurrection des civilisations disparues et des empires anéantis. Pourtant, on ne voit pas que l’on milite ainsi en faveur d’un anachronisme idéologique et social qui, à l’instar du fondamentalisme islamiste, ne peut être imposé que par la force des baïonnettes. Or, quand on s’y rend compte – si jamais on ose le faire – il est toujours trop tard. Les jeux de la propagande par le biais des images du retour à la grandeur du passé ont été faits au détriment de ceux qui y croyaient.
Mieux vaut, donc, se méfier des présentations idéalisées du passé et ne pas mettre la sourdine sur les aspects négatifs des civilisations précolombiennes comme l’ont fait les réalisatrices du « 1491… » Une explication plus nuancée aurait été plus instructive. Ceci d’autant plus que les sociétés, États ou empires amérindiens n’étaient rien moins inégalitaires, expansionnistes, répressives et tyranniques que celles de l’Europe ou d’autres continents. Elle aurait pu démontrer que toute société structurée, n’importe son origine ou couleur de peau, est victime des manipulations et de l’oppression de leur caste dirigeante avide d’étendre son pouvoir et de s’enrichir à tout prix. Mais ceci pourrait remettre en cause le problème de la culpabilité ou de la victimisation des protagonistes, de celles de leurs descendants incluses.
On restait, ainsi, dans le schéma noir-blanc. Peut-être ne voulait-on pas prendre le risque de relativiser le discours sur l’impact des civilisations qui s’imposait. Sinon on aurait dû évoquer la tragédie des colons européens attirés par les illusions d’une vie meilleure dans une « terre vierge » ou colonisés dans le « Nouveau Monde ». On aurait aussi pu évoquer le drame de la traite des esclaves en provenance de l’Afrique. Mais on aurait également pu (et du) mentionner le phénomène du métissage qui jetaient les germes de la transformation des sociétés sur le continent américain. Ceci d’autant plus quand on sait que les cultures ne restent jamais renfermées sur elles-mêmes. Elles se combattent, mais elles s’influencent aussi. Même les océans ne paraissent pas avoir été des obstacles. Les fouilles archéologiques récentes l’indiquent de plus en plus clairement. Mais « 1491… » n’en fait pas mention. Ainsi l’impression qui s’y dégage est que les apports des civilisations technologiquement plus évoluées détruisent souvent radicalement les cultures et les civilisations traditionnelles. On pourrait même dire, qu’en raison de la mondialisation, les spécificités identitaires, nationales incluses, sont sur le point de disparaître définitivement.
Les défis de l’identité collective
On aurait, certainement, tort de sous-estimer cette menace. Mais comment y faire face ? Comment éviter d’être engloutis dans une masse anonyme privée de toute particularité culturelle et spirituelle ? Selon les experts du « 1491… », la solution serait l’affermissement des liens au sein des communautés. À cet effet, ils encouragent la participation de la population autochtone aux manifestations culturelles et religieuses tribales, la scolarisation en langues indigènes et le retour des objets de culte spoliés placés dans des musées des grandes villes en dehors de leur territoire. Rêvent-ils d’une autonomie locale voire même d’une indépendance territoriale de leur domaine ancestral? On pourrait le deviner. Mais, la fixation des communautés ethniques devenues minoritaires en raison de circonstances historiques sur le passé n’est pas sans risques. Une claustration de groupes humains entiers dans un espace territorial limité pourrait difficilement être profitable. Pire, ceci reviendrait à exiger des tribus voire même des ethnies entières de s’isoler et se transformer en des reliques vivantes d’un musée ethnographique en plein air. Demander aux membres d’une ethnie quelconque de se regrouper afin de vivre conformément aux rites devenus anachroniques et de sauvegarder l’identité collective tout en sacrifiant la liberté individuelle reviendrait à la violation de la liberté humaine. Encore qu’il s’agit d’un élément essentiel des Droits de l’Homme…
Or, ce problème ne semble pas avoir préoccupé ni les réalisatrices, ni les experts. Pourtant, l’émiettement de la société par le biais du communautarisme est toujours d’actualité dans les cercles mondialistes des élites néolibérales. Il est surtout favorisée par les mouvements gauchistes et écologistes qui, tout en le niant, jouent leur jeu. En mobilisant les minorités identitaires on peut déstabiliser la solidarité sociale qui pourrait constituer une force organisée capable de remettre en cause les intérêts des cercles politico-financiers. C’est la raison pour laquelle les minorités se protègent (ou sont protégées) par le biais de la sacralisation de leur statut de victime du passé. Le communautarisme est, cependant, bien loin de servir les intérêts des minorités. Au contraire, il les rend méfiants envers la communication avec d’autres communautés par peur de perte d’identité collective et de subventions que lui sont attribués par les institutions nationales ou internationales appropriées.
Pourtant, il ne faut pas perdre de vue que l’attachement à une culture quelconque n’est pas lié seulement au fait de l’appartenance à une collectivité précise, mais aussi au celui du sol. Chaque personne qui y réside, n’importe son origine ethnique ou sa pigmentation épidermique finira par les absorber, à les faire valoir et transmettre à la postérité. Être conscient de la complexité des racines du territoire où on est né ou on vit, représente un enrichissement culturel qui peut être extrêmement favorable dans la formation de l’esprit. C’est surtout par une éducation conforme et la recherche scientifique non-politisée menée par des experts indépendamment de leur origine qu’il serait possible d’y parvenir. En agissant ainsi on peut prévenir le mieux le danger d’abuser la mémoire au profit des intérêts de domination et de pouvoir. Dommage que le film « 1491… » avait omis de le rappeler. Mais, au moins, il pousse à la réflexion…